Le « trou de la Sécu » est l’urgence oubliée de la campagne présidentielle. Voilà pourtant des décennies que la Sécu est en déficit, qu’on assiste régulièrement à son « sauvetage », consistant à augmenter les cotisations et à réduire les prestations. Les candidats n’avaient-ils donc rien à dire sur le sujet ?
Par Jean-Yves Naudet.
Publié en collaboration avec l’ALEPS.
La campagne électorale touche à sa fin, nous sommes maintenant dans l’entre-deux tours, et à ce jour l’on ne peut que constater l’absence de certains thèmes, pourtant parmi les plus importants. Le plus grand absent, vainqueur indiscuté de la discrétion des dix candidats du premier tour, c’est la Sécurité Sociale. Il suffit de lire la chronique des cent jours publiée par la Nouvelle Lettre de l’ALEPS et libres.org pour s’en persuader. Les candidats n’avaient-ils donc rien à dire sur le sujet, ou le sujet leur a-t-il semblé futile ?
Le trou de la Sécu ? Connais pas !
En dehors de quelques propositions à la marge, sur certains allégements de charges ou sur la TVA sociale, il n’a guère été question de la Sécurité Sociale pendant cette campagne. Les plus naïfs se diront que c’est parce qu’elle a été sauvée. Les plus lucides constateront que le sujet n’est pas abordé parce qu’il fait consensus entre les candidats, dont aucun ne veut remettre en cause « notre modèle social que le monde entier nous envie ». Les plus libéraux diront que le sujet nécessite tant de décisions courageuses qu’il valait mieux, électoralement parlant, le mettre sous le tapis.
Le fait est là, et nous partageons l’opinion du journal Le Monde qui titrait fin mars : « Le trou de la Sécu, urgence oubliée de la campagne ». Avec cette précision : « À la Cour des comptes et chez les analystes, on s’inquiète de la gravité de la situation et du silence des politiques ». La gravité n’est pas nouvelle : voilà des décennies que la Sécu est en déficit, qu’on assiste régulièrement à son « sauvetage », consistant à augmenter les cotisations et à réduire les prestations. Chaque sauvetage, qu’il s’agisse des retraites ou de l’assurance maladie, en annonce un suivant : on retrouve vite le chemin du déficit.
La réforme des retraites est devant nous
Pour les retraites, la Nouvelle Lettre en a parlé souvent et Jacques Garello et Georges Lane ont publié sur ce thème une « somme » sans appel : « Futur des retraites et retraites du futur », en trois tomes, regroupés ensuite en un tome unique « Réforme des retraites : une approche scientifique » (IREF) : les Français sont persuadés que les retraites ont été sauvées par les réformes Sarkozy, auxquelles la gauche et les syndicats étaient opposés. Retarder l’âge de la retraite ne suffira pas à sauver le système par répartition, condamné par sa structure pour mille raisons, dont la plus évidente est d’ordre démographique : recul de la natalité et allongement de l’espérance de vie conduisent à un déséquilibre croissant entre cotisants (les actifs) et les bénéficiaires (les retraités).
Le Président sortant n’en parle pas, car il se vante d’avoir sauvé le système, alors qu’au mieux il n’a qu’un peu retardé les échéances ; le déficit est toujours là en 2011 (6 milliards) et ira croissant. Quant à François Hollande et ses alliés, ils veulent remettre en cause une partie de sa mini-réforme, ce qui aggraverait encore le déficit et précipiterait la chute.
Finalement, personne ne dit la vérité : si l’on reste dans la répartition, il faudra retarder de plus en plus l’âge de la retraite (nos partenaires en sont à 65 ou 67 ans) mais, les mêmes causes produisant les mêmes effets, l’échéance fatale tombera tôt ou tard. Tant que l’espérance de vie continuera (et c’est heureux) à s’allonger, tandis que le refus de la vie freinera la natalité, le système par répartition ne trouvera jamais son équilibre, coûtera de plus en plus cher et il faudra sans cesse retarder l’âge de départ en retraite. Seul un système par capitalisation, parce que l’argent placé fructifie, peut résoudre ce problème des retraites. Qui le dit ? Le sujet est tabou en France, en dépit des expériences étrangères. Silence radio.
L’assurance-maladie : un déficit faramineux
Du côté de l’assurance maladie, la situation est tout aussi critique. Le déficit était de 4,4 milliards en 2008, 10,6 milliards en 2009, 11,6 milliards en 2010. Pour 2011, on annonçait 9,6 milliards de déficit, mais finalement celui-ci a été de 8,6 milliards. Comment analyser comme un bon résultat un déficit qui est un peu plus faible que prévu ? En fait, les prévisions étaient fausses et il n’en reste pas moins que 8,6 milliards, c’est gigantesque. Le Haut conseil pour l’avenir de l’assurance maladie parle d’une situation financière qui « traverse de nouveau une période extrêmement critique ». Les syndicats et les politiques ferment les yeux et seul le MEDEF a estimé que l’assurance-maladie est « au bord de la faillite ».
Les seules réformes envisagées portent sur la limitation des honoraires libres des médecins (secteur 2), comme si les médecins étaient responsables du déficit et comme si des prix administrés pouvaient réguler un système, alors que seuls des prix libres permettent d’adapter des prestations de qualité aux besoins des patients. L’État a nationalisé une large part du secteur de la santé, et contrôle étroitement le secteur privé ; l’assureur est unique, obligatoire et monopolistique : qui dénonce ces dérives ? On laisse filer les déficits et on continuera comme par le passé à essayer de les combler en augmentant les cotisations et en réduisant les prestations. Qui a posé le problème ? Qui a envisagé autre chose que la fuite en avant ? À quoi sert une protection sociale de plus en plus ruineuse et de moins en moins protectrice ?
La Sécu au coeur du prochain quinquennat
Toutes ces questions vont se poser très vite, maintenant ou après les législatives. L’urgence est de dire la vérité aux Français sur la situation très dégradée de leur chère Sécu. Le déficit demeure une notion macro-économique abstraite pour les citoyens maintenus dans l’ignorance. Ils ne savent pas qu’un déficit signifie un emprunt, donc de nouveaux impôts et de nouvelles cotisations. Être en déficit, cela veut dire que nos dépenses de santé d’aujourd’hui ne sont pas payées par nous, mais le seront par nos petits-enfants demain. Est-ce raisonnable ? Est-ce moral ?
Accroître les cotisations ou « dérembourser » n’est pas une solution. Mais nous avons les prélèvements obligatoires (impôts et cotisations sociales) parmi les plus élevés du monde : ils dépasseront l’an prochain les 45% du PIB : la moitié de nos revenus va aux administrations publiques et à la Sécu. De plus, ce sont de nouveaux impôts qui menacent : pendant la campagne, on a pratiqué la surenchère fiscale. Qui sait que les Français travaillent « pour l’État » jusqu’au mois de juillet ? Qui a parlé du salaire complet et de la feuille de paie vérité, proposés par Axel Arnoux et l’ALEPS ? Pourquoi mentir aux Français sur le coût de la Sécu ?
Avec le poids des dépenses publiques (56% du PIB), cela plombe notre compétitivité et accroît notre inefficacité. La seule solution est de réduire les dépenses, de dix points supérieures à celles de l’Allemagne. Comment ? Par la concurrence, la privatisation et la responsabilisation.
On dira que ce n’est pas « social » ? Mais le système est moribond et pénalise les personnes aux revenus les plus modestes. Il est condamné, parce que bureaucratique et monopolistique. Pourquoi ne pas essayer la liberté, pour les retraites comme pour la santé ? Le pire choix, c’est le non-choix : garder le système actuel, attendre la faillite, en espérant qu’elle interviendra après la prochaine échéance, est-ce social ? « Après moi le déluge ». Mais le prochain Président et sa majorité seront vite rattrapés par la réalité : la Sécu sera l’un des grands sujets du prochain quinquennat.
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